La vie de pigiste, par définition, nous amène à multiplier les contrats différents, les clients, les sources de rémunération. Et quand en plus nos intérêts sont aussi divers qu'en apparence parfois contradictoires, on se retrouve souvent à accumuler les chapeaux et les titres d'une manière assez impressionnante. Et puis parfois il faut tout simplement gagner sa vie, et prendre ce qui passe.
En soi, si vous travaillez dans le domaine de la comptabilité ou de la décoration d'intérieur, cette vie de pigiste ne présente pas de problème éthique particulier. Vos clients vous engagent en fonction de vos habiletés et de vos tarifs, et si vous effectuez votre travail de façon professionnelle, ils n'ont que faire de l'identité de vos autres clients ou de ce que vous faites de vos temps libres.
Mais on le sait, en matière d'éthique et de déontologie, le monde du journalisme a ses exigences particulières. Parce qu'on estime avec raison que le journaliste, par l'impact de son travail, se retrouve dans une position privilégiée de pouvoir et d'influence, on exige de lui une indépendance particulière. C'est pourquoi, dans son Guide de déontologie, la Fédération des journalistes professionnels du Québec stipule que «les journalistes doivent éviter les situations de conflits d'intérêts et d'apparence de conflits d'intérêts, que ceux-ci soient de type monétaire ou non. Ils doivent éviter tout comportement, engagement ou fonction qui pourraient les détourner de leur devoir d'indépendance, ou semer le doute dans le public».
La notion d'apparence de conflits d'intérêts est importante, ici. Ce ne sont pas seulement les conflits d'intérêts réels qui posent problème, mais aussi la simple possibilité qu'un tiers puisse en soupçonner un.
C'est un principe noble et admirable. Cela dit, dans la réalité, on sait bien que les choses ne sont pas aussi simples que cela. Qu'est-ce qu'une véritable indépendance? Où finit l'amitié et où commence le conflit d'intérêts? Dans quelle mesure les choix éditoriaux de notre publication, par exemple, ne nous placent-ils pas nous-mêmes en conflit d'intérêts? Que penser d'un journaliste pigiste qui, pour payer le loyer, doit aussi faire des relations de presse dans son domaine? Etc. Voilà pourquoi, depuis un moment déjà, je préfère la notion de transparence à celle d'objectivité, à laquelle je ne crois pas vraiment. En tant que consommateur d'information, il me semble plus utile de savoir à quelle enseigne politique/idéologique/commerciale/etc. loge un journaliste ou commentateur, par exemple, que de jouer à l'autruche en me mettant la tête dans le sable de la prétendue objectivité journalistique.
C'est dans cet objectif de transparence que je me prête donc pour la première fois à cet exercice de déclaration d'intérêts, afin d'être le plus ouvert possible par rapport à mes différentes fonctions et responsabilités.
Journalisme
Je suis journaliste indépendant. Mes principaux clients, depuis six mois, ont été les magazines Châtelaine et Elle Québec. J'écris surtout des articles portant sur des problématiques sociales, ainsi que des entrevues avec des personnalités du milieu culturel, social et des affaires.
Commentaire
Je suis régulièrement appelé à donner publiquement mon opinion sur des sujets variés: culture, société, politique, etc. Il arrive assez souvent que je traite de livres. Les principales tribunes pour ces commentaires sont la chronique magazines que je tiens à l'émission Christiane Charette, le webzine P45 et mes différentes plateformes sur les médias sociaux: mon site personnel principal, mon site Tumblr, Facebook et Twitter. J'écris aussi une chronique mensuelle bénévole pour le magazine Le Trente, portant sur l'avenir du journalisme.
Radio et télévision
Je travaille de temps à autre pour des émissions de radio et de télévision, que ce soit à titre de recherchiste ou de participant à des séances d'idéation et de remue-méninges. Il arrive aussi que je travaille pour des producteurs privés au développement de séries télévisées. Le plus récent à ce chapitre est Zone3.
Édition magazine
Je suis l'éditeur du magazine P45, que j'ai fondé il y a 9 ans. Je ne décide pas du contenu sur une base quotidienne, mais je prends régulièrement des décisions relatives à celui-ci, en plus d'y contribuer, souvent sous une forme anonyme ou non. Le contenu publié sur P45 est généralement de l'ordre de l'opinion et du commentaire.
Édition livre
Depuis le printemps dernier, je travaille à mi-temps pour les Éditions du Boréal. Ma principale responsabilité y est de conseiller l'entreprise sur tout ce qui touche à l'environnement numérique: contenus, promotion, avenir du livre, etc. J'y suis aussi conseiller littéraire. Ce travail représente ma principale source de revenus.
Implication sociale
Depuis trois ans, je suis le président de l'Association des journalistes indépendants du Québec. La mission principale de l'AJIQ est d'obtenir pour les journalistes indépendants le droit à la négociation collective et d'améliorer, de façon générale, leurs conditions socio-économiques et leurs conditions de travail. Cela implique entre autres de faire du lobbying auprès des autorités politiques et des organismes règlementaires. C'est un poste bénévole.
Je siège aussi au conseil d'administration de Copibec, où je représente les journalistes indépendants. Copibec a pour mission de gérer, au nom des éditeurs et des auteurs québécois qui lui en ont confié le mandat, les droits de reproduction de leurs œuvres imprimées (livres, journaux et périodiques).
Depuis une dizaine d'années que je fais du journalisme, j'ai toujours été extrêmement vigilant de ne pas me retrouver en conflit d'intérêts, et c'est évidemment ce que je continuerai à faire. Il serait hors de question, par exemple, que j'accepte de parler d'un livre du Boréal en tant que commentateur qui se prétendrait indépendant.
Mais tout cela n'est jamais simple, comme je le disais plus haut, et je trouvais important de me prêter à cette déclaration publique d'intérêts. J'invite aussi mes collègues journalistes et blogueurs à faire de même, question de donner aux lecteurs et auditeurs les éléments d'information qui leur permettront de décider eux-mêmes à qui ils veulent faire confiance, et sur quels sujets.
Le monde du travail en général, et celui du journalisme en particulier, a beaucoup changé depuis quelques années, et changera encore plus profondément au cours des années à venir. Il est bien révolu, par exemple, le temps où l'on travaillait pour un seul employeur pendant plusieurs décennies. En tant que journalistes, il est important de revoir nos façons de faire et de mener une réflexion continue quant à notre conception de ce qui est éthique, acceptable, possible. La déclaration d'intérêts est une expérience en ce sens.
Les commentaires récents
9 896
Il y a souvent quelque chose de presque mystique, dans le fait d'être tombé sur un livre précis à un moment précis de notre vie.
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Il y a souvent quelque chose de presque mystique, dans le fait d'être tombé sur un livre précis à un moment précis de notre vie.