«Plus que jamais, nous avons besoin du livre comme d'une bouée de sauvetage dans la mer du divertissement léger et pétillant auquel ont décidé de se vouer les médias»: mon billet sur l'avenir du livre, dans La Presse d'aujourd'hui.
«Plus que jamais, nous avons besoin du livre comme d'une bouée de sauvetage dans la mer du divertissement léger et pétillant auquel ont décidé de se vouer les médias»: mon billet sur l'avenir du livre, dans La Presse d'aujourd'hui.
Cette année encore, les gens du cahier Actuel de La Presse m'ont demandé d'écrire une revue de l'année, qui sera publiée dans l'édition du 27 décembre. Et cette année encore, je fais appel à vos idées, suggestions, commentaires. Qu'est-ce qui a marqué 2008, à votre avis? Quel souvenir en gardera-t-on? Et au-delà des choses qui ont monopolisé les manchettes, y a-t-il des événements qui sont passés presque inaperçus mais qui risquent d'avoir un impact important au cours des mois à venir? Des leçons particulières que l'on a apprises, cette année? De nouvelles tendances à souligner? À éliminer? Etc.
Chaque époque a son caractère propre, résultat de l’influence combinée de facteurs aussi disparates que la situation économique, les conditions politiques, les développements techniques ou les goûts particuliers de la grosse vedette de l’heure. Consciemment ou non, nous sommes influencés par cette humeur-là––elle affecte notre attitude et notre façon de penser, nos gestes et nos décisions.
Il y aurait beaucoup à dire sur l’esprit de notre époque, mais il y a une chose en particulier qui saute aux yeux: l’excentricité n’est pas à la mode. Ça n’a pas toujours été le cas, bien sûr; il y a eu des périodes, dans l’Histoire, où c’était une qualité appréciée, et même encouragée. Mais depuis peut-être la deuxième moitié des années 1980, nous voyons d’un mauvais oeil les vêtements trop extravagants, les comportements trop fantasques, les choix de vie trop originaux. Nos audaces sont rares et nos partys sont plates. Il est quand même déconcertant, par exemple, que les jeunes de la rue d’aujourd’hui adoptent les mêmes codes et styles vestimentaires que deux générations de punks avant eux. Ça en dit long sur notre époque, que les plus marginaux d’entre nous soient aussi anticonformistes que le Lavalois moyen.
Donner une explication à ces presque 25 années de sobriété et de conformisme n’est pas évident, surtout avec les 64 mots qu’il me reste en banque. Mais peut-être qu’un élément de réponse se trouve dans la définition même d’excentricité: «Manière d’être d’une personne qui s’écarte des usages reçus». Quand, à une époque donnée, il ne semble plus y en avoir, d’usage reçu, quand tout est permis et que le marginal est la norme, est-il tentant, voire même possible, d’être excentrique? Poser la question, c’est sans doute un peu y répondre.
Nicolas Langelier
Paru dans La Presse, vendredi 18 avril 2008
Avons-nous un calendrier interne, de la même manière que nous avons par exemple une horloge mentale qui nous permet d’ouvrir les yeux douze secondes avant que le cadran ne sonne, ou un sens de l’équilibre si fort qu’il sera impossible de dormir, si nous avons disposé notre tente de telle façon que notre tête est huit millimètres plus basse que nos pieds? Je ne sais pas, et Google ne veut pas me le dire. Mais j’imagine que oui. Après tout, si les animaux savent instinctivement à quel moment de l’année ils doivent s’accoupler ou migrer ou amasser des réserves pour la saison froide, je ne vois pas pourquoi nous, humains, n’aurions pas une fonction semblable. La télé et les micro-ondes ne peuvent pas nous avoir mêlé tant que ça, quand même.
Ça expliquerait bien des choses, en tout cas. Dont ce sentiment qui nous envahit subitement, aux alentours du 8 mars, et se résume en trois mots: c’est le printemps. Une espèce d’excitation diffuse, de picotement dans les pieds ou le ventre, un désir de marcher un peu plus vite et de parler un peu trop fort et d’embrasser quelqu’un, genre là, maintenant. Un sentiment presque identique à celui des printemps de notre adolescence, d’ailleurs, et qui fait qu’il nous prend souvent l’envie, certains jours de mars ou d’avril, d’écouter une chanson sortie tout droit de nos 16 ans.
Et ce phénomène est si puissant qu’il sera perceptible même si le printemps à proprement parler est toujours enseveli sous trois pieds de neige, et que l’hiver semble bien parti pour se prolonger jusqu’à la Fête de la Reine. C’est peut-être à cause de la lumière, ou de la position des astres, ou de la fin de la saison régulière de hockey. Mais l’explication n’a pas vraiment d’importance : ce qui compte, c’est que ce sentiment existe, et que nous pouvons toujours le ressentir, après toutes ces années, et que, à notre plus grand soulagement, tout est donc encore possible.
Nicolas Langelier
Paru dans La Presse, vendredi 4 avril 2008
Peu importe la super attitude super optimiste que l’on puisse s’efforcer de maintenir, peu importe ce que la religion ou les gourous de la croissance personnelle ou les scénaristes professionnels essaient de nous faire croire, il y a un fait incontournable : la vie a vraiment le don de mal virer. À tout moment, la maladie ou la mort peut frapper, la folie meurtrière se déclencher, notre coeur se briser, notre fortune tourner, des catastrophes en tous genres s’abattre sur nous, nos proches, notre communauté, notre civilisation. Et tout ceci souvent sans la moindre logique ou un quelconque sentiment de justice qui nous permettrait au moins de comprendre, de dire un plus un égale deux, de dire action/réaction, de dire cela devait arriver, est cohérent, est acceptable.
Malgré ce constat désolant, la découverte la plus fondamentale que l’on puisse faire, dans la vie, est peut-être que quoi qu’il arrive, quels que soient les bâtons que la vie mettra dans nos roues, il restera toujours des raisons de garder espoir. Le problème, avec cet apprentissage, c’est qu’on ne peut le faire qu’en l’expérimentant nous-mêmes. Et c’est souvent au bout de la nuit la plus noire, lorsque tout semble perdu pour de bon, qu’un beau matin on change d’idée, sans trop savoir pourquoi; à cause d’une rencontre, peut-être, ou d’un projet, ou d’un vague sentiment d’illumination qui nous aura envahis, l’espace de quelques secondes.
On peut l’expliquer comme on veut, cette étonnante renaissance de l’espoir: intervention divine, pulsion génétique, sous-produit évolutionnaire. L’important est qu’elle soit là, et qu’ainsi on soit capable de sortir du lit ce matin-là, et le jour d’après, et le jour d’après. Parce qu’une vie passée à regarder des talk-shows d’avant-midi, la poitrine couverte de miettes de biscuits, ce ne serait pas vraiment une vie.
Nicolas Langelier
Paru dans La Presse, vendredi 28 mars 2008
Il y a quelque chose dans le chiffre rond qui nous touche, nous incite à la réflexion ou à la nostalgie, à la célébration ou à l’angoisse. Comme s’il nous forçait à prendre un peu de recul face à notre vie trépidante, et nous poser de profondes questions du genre:
• « Suis-je vraiment dans la situation glorieuse à laquelle je rêvais lorsque, plus jeune, je m’imaginais à l’âge de 30 ans? Que me manque-t-il? Un amour véritable? Un emploi stimulant? Quelques paires de souliers et deux ou trois espoirs supplémentaires? »
• « Que cela signifie-t-il, que la bourse ait franchi la barre des 12 000 points, ou que le pétrole ait atteint le prix de 100$ le baril, ou que l’or se négocie maintenant à 1000$ l’once? Y a-t-il lieu de se réjouir, ou devrions-nous plutôt faire des réserves de boites de conserve? »
• « Notre club social a 25 ans/notre pays a 250 ans/notre civilisation a mille ans: que souhaitons-nous, pour le prochain quart de siècle ou millénaire? Un peu plus d’épluchettes de blé d'Inde et un peu moins de génocides? Et surtout : célébrerons-nous cela avec beaucoup d’alcool ou un feu d’artifice ou les deux? »
Cela dit, notre engouement pour les chiffres ronds semble s’intensifier, depuis quelques années, en raison surtout des médias, qui ont pour eux le même genre d’affection que certaines personnes ont pour la cocaïne. Aux traditionnels 10-25-50-100-etc. s’ajoutent dorénavant des nombres qui jusqu’à maintenant n’étaient pas vraiment considérés comme ronds. Le 5, par exemple, ou le 15, ou le 35. Au rythme où vont les choses, on devrait bientôt nous forcer à réfléchir à la signification profonde des 18 mois au pouvoir d’un gouvernement, ou à célébrer le 3e anniversaire de la fois où il a plu vraiment fort.
À surveiller: le 11. Lorsque ce chiffre insignifiant sera jugé digne d’être souligné, c’est que nous serons définitivement allés trop loin, et ce ne sera pas bon signe. Profitez-en alors pour empiler les boites de conserve et discrètement, très discrètement vous réfugier au fond des bois.
Nicolas Langelier
Paru dans La Presse, vendredi 14 mars 2008
Conservateur: le terme évoque un attachement au statu quo, à l’ordre établi. On pense «conservateur», et on connote «tradition», «convention», «agent de conservation» même, peut-être. Pourtant, dans les démocraties du début du 21e siècle, les politiciens conservateurs sont paradoxalement les plus désireux de réformer les structures, de revoir les programmes, de modifier les façons de faire.
Évidemment, ils vous diraient qu’ils ne veulent pas changer les choses, mais bien les ramener à ce qu’elles étaient avant, dans le bon vieux temps. En fait, ils ne diraient pas ça non plus (personne n’oserait employer de nos jours cette expression qui sent la punition corporelle et la femme au foyer), mais ils le souhaitent (pas nécessairement la punition corporelle et la femme au foyer, d’accord, mais une version modernement correcte de la chose). En ce sens, le conservatisme est une sorte de progressisme à rebours, un désir d’effacer les rénovations des dernières décennies afin de ramener notre maison collective à son état original : arrachons ce revêtement/programme social, détruisons cette annexe/société d’État, vendons ce terrain/parc national, et remettons les ornements victoriens.
Jusqu’où les conservateurs voudraient-ils nous faire retourner, comme ça? À la maison en pierres des champs, à la cabane en bois rond? Non, pas si loin: à la demeure bourgeoise du 19e siècle. Car contrairement au politicien progressiste, qui cherche à nous amener toujours plus en avant vers un avenir meilleur, le politicien conservateur, lui, a une idée très précise de son idéal temporel: quelque part aux alentours de 1892.
Bien sûr, seule une infime minorité habitait une demeure bourgeoise, à l’époque. Mais le truc du politicien conservateur est justement de nous laisser croire qu’avec les bons changements politiques, nous (oui, nous!) pourrons en acheter une, demeure bourgeoise…
Nicolas Langelier
Paru dans La Presse, vendredi 7 mars 2008
De plus fins esprits pourraient mieux que moi expliquer comment nous en sommes arrivés à ceci, cette quête de tous les instants, ce monde obsédé par le bonheur: comment l’atteindre, comment le maintenir, comment le rendre encore plus plus plus fort, comment le trouver dans le travail, la famille, les loisirs, une meilleure attitude. Inlassablement, nous cherchons des recettes dans la philosophie et la pop-psychologie, dans la spiritualité et les médicaments, dans les livres et l’alimentation, dans la consommation et les sites de rencontres. Et dire que les développements technologiques nous permettent maintenant d’aller traquer les secrets du bonheur jusque dans nos gènes et nos synapses––jusqu’où ces recherches nous mèneront-elles? (À la découverte du gène du bonheur, sans doute, et aux possibilités marchandes en découlant.)
La triste ironie, bien sûr, c’est que pour une époque aussi à la recherche de son bonheur, nos résultats sont plutôt médiocres. Les signes d’un mal-être généralisé sont là, partout autour de nous, dans les conversations de nos amis, dans les statistiques sur le suicide, dans l’usage croissant des antidépresseurs, dans la multitude de reportages et d’essais révélant notre malaise collectif, individuel, civilisationnel. Comment, d’ailleurs, interpréter notre obsession pour le bonheur autrement que par un terrible constat d’échec quant à notre habileté à l’atteindre?
La question s’impose donc: et si notre problème n’était qu’une simple question d’attentes trop grandes? Et si nous le désirions tellement, ce bonheur, si nous l’attendions avec tellement d’impatience que lorsqu’il se présentait à nous, nous ne pouvions faire autrement qu’être déçus, tel un enfant qui aurait souhaité un poney pour Noël mais se retrouverait devant un dictionnaire?
Ou peut-être que nous ne cherchons juste pas à la bonne place? Voilà qui serait fâchant. Imaginez le scandale si, contre toute attente, le bonheur ne se trouvait pas dans une plus grosse télé ou de meilleures érections… Il faudrait exiger un remboursement, ou quelque chose.
Nicolas Langelier
Paru dans La Presse, vendredi 29 février 2008
La métaphore est éculée, mais elle demeure utile: notre corps est une machine, et plusieurs fois par jour cette machine doit être alimentée en carburant, à défaut de quoi c’est la panne.
Bien sûr, cette nécessité a ses charmes. Si on est le moindrement hédoniste, ce besoin permanent de manger représente (à condition qu’on en ait les moyens, il va sans dire) autant d’occasions de se faire plaisir et de passer du bon temps. La vie serait certainement plus triste, sans les délices de la nourriture.
Seulement voilà, peut-être aussi souvent qu’elle est une joie, la nourriture est aussi une corvée. Que ce soit pour la préparer, la payer ou tout simplement l’avaler, elle monopolise beaucoup de temps et d’énergie que nous pourrions consacrer à autre chose. Il y a donc une lassitude qui nous envahit parfois, à l’idée d’avoir à répéter encore une fois les mêmes gestes: réfléchir à ce qu’on veut manger, faire les courses, la préparation, manger, puis nettoyer tout ça, les chaudrons, la vaisselle, la graisse sur la cuisinière, les pelures de carottes par terre, la maudite petite peau collante logée dans le presse-ail. Et il faudra tout recommencer demain, et après-demain, et après-après-demain, jusqu’au jour de notre mort, ou en tout cas celui où nous serons suffisamment intubés pour être libérés de cette obligation.
Alors il y des jours où tout cela nous semble particulièrement pesant. Peut-être parce qu’on est fatigué, ou en vacances, ou en camping, et qu’à ce moment-là, on souhaiterait que notre machine corporelle soit munie d’une batterie autochargeante, ou d’un panneau solaire qui nous permettrait de nous passer de nourriture pendant quelques heures ou quelques jours. Oui, un organisme hybride nourriture-soleil, ou nourriture-eau, ou nourriture-musique: la planète ne s’en porterait que mieux, et nous aurions ainsi beaucoup plus de temps à consacrer aux choses importantes, comme lutter contre les inégalités sociales ou regarder des émissions de cuisine à la télé.
Nicolas Langelier
Paru dans La Presse, vendredi 22 février 2008
On ne compte plus les études rapportant une baisse marquée des habitudes de lecture. D’innombrables commentateurs en ont fait le sujet de leurs chroniques, y voyant le signe annonciateur d’un effondrement intellectuel et moral de notre civilisation. Les gouvernements mettent sur pied des programmes pour contrer le phénomène, ou songent à le faire. C’est devenu un lieu commun: les gens lisent de moins en moins. Et si vous remplacez «gens» par «jeunes», vous avez là une Vérité Incontestable.
Tout cela est dramatique, bien sûr. Ou le serait, plutôt, si c’était vrai. Parce qu’en réalité, nous lisons plus que jamais. Nous lisons un peu moins de livres qu’il y a 20 ans, d’accord, et un peu moins de journaux et de magazines imprimés, mais ces baisses sont largement compensées par tout ce que nous lisons sur l’internet : articles journalistiques, blogues, courriels, entrées encyclopédiques, rapports, etc. Et c’est sans parler de nos téléphones, et des quotidiens gratuits, et de tout le reste. Nous passons nos journées à lire. Jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, autant de gens n’ont lu autant (et autant écrit, inévitablement). Loin de marquer une crise de la lecture, ce début de 21e siècle s’avère plutôt son âge d’or.
C’est pour le moins paradoxal, donc, cette panique morale à propos d’un déclin de la lecture qui, dans les faits, n’existe pas. Paradoxal, mais pas étonnant––une preuve supplémentaire de notre propension collective à rechercher et à nourrir des angoisses à propos d’une fin imminente de la civilisation telle que nous l’avons connue jusqu’à maintenant. Il n’est pas inutile, ici, de rappeler qu’au 19e siècle, de nombreux médecins et «spécialistes» mettaient en garde la population contre les périls moraux et sociaux liés à la popularité grandissante de la lecture…
Nicolas Langelier
Paru dans La Presse, vendredi 15 février 2008
Journaliste, commentateur culturel, conseiller littéraire, créateur de projets, éditeur, administrateur, ailier gauche, Montréalais.
Les commentaires récents
9 896
Il y a souvent quelque chose de presque mystique, dans le fait d'être tombé sur un livre précis à un moment précis de notre vie.
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