Depuis quelques années, avec la multiplication et le raffinement toujours croissant des méthodes de sondage, nos politiciens sont de plus en plus en mesure de gouverner en fonction de l'opinion publique. Et ils ne s'en privent pas: leurs décisions, leurs prises de position, leurs valeurs mêmes semblent fluctuer au gré de ce que les gens veulent.
En théorie, cette situation devrait être considérée comme une avancée majeure du progrès humain. Après tout, si l'on estime que la démocratie est le meilleur système politique envisageable, et qu'il n'y a rien de plus démocratique qu'un dirigeant qui s'adapte constamment aux souhaits de la population, on ne peut conclure que plus de gouvernance en fonction de l'opinion publique = plus de démocratie = plus de bonheur généralisé. En théorie, donc.
Mais voilà, dans les faits, il n'en est rien. Ce paradoxe se résume par le constat suivant: l'opinion publique ne vaut pas grand-chose. Oubliez le «gros bon sens populaire», la «sagesse des foules» et autres concepts glorifiant notre intelligence de masse. En réalité, collectivement, nous voulons n'importe quoi, appuyons n'importe qui et pensons tout croche. Chamfort l'a dit il y a longtemps: «Il y a à parier que toute idée publique, toute convention reçue, est une sottise, car elle a convenu au plus grand nombre». Plus récemment, le philosophe anglais Alain de Botton allait dans le même sens en écrivant que «l'opinion de la majorité de la population sur la majorité des sujets est marquée par un extraordinaire niveau de confusion et d'erreur».
Il y a quelque chose de très déprimant dans ce constat, bien sûr. Cela revient à admettre qu'une véritable démocratie est vouée aux aberrations ou, pire, à l'impasse. Évidemment, ce ne serait pas mieux avec un Staline ou un Pol Pot pour nous diriger. Mais il y a des jours comme ça où on lit le journal en secouant la tête devant les décisions populistes de nos politiciens, et on se souhaite vraiment un monarque éclairé, un despote bienveillant, n'importe quoi d'autre que cette soi-disant magnifique démocratie.
Présenté à l'émission La tête ailleurs, à la Première chaîne de Radio-Canada, le 3 octobre 2009.
La chronique s'écoute ici.
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9 896
Il y a souvent quelque chose de presque mystique, dans le fait d'être tombé sur un livre précis à un moment précis de notre vie.
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