Si on établissait le palmarès des conversations déprimantes qu'il est possible d'avoir, en ce début des années 10, une jasette avec un journaliste s'y trouverait certainement en bonne position, quelque part entre le spécialiste de l'Arctique et l'adéquiste. Bien sûr, les sources de découragement ne manquent pas, pour quiconque tient à une information de qualité. Mais le plus décourageant, dans ces conversations avec les journalistes, ne fait pas partie de cette litanie de problèmes que nous connaissons par coeur (déclin des quotidiens payants, place grandissante de l'infotainment, etc). Le plus décourageant, ce sont plutôt les collègues eux-mêmes. Leur apathie et leur résignation face à l'avenir. Leur attitude «Après nous le déluge». Comme si les journalistes québécois en étaient venus à voir comme indissociables l'avenir de l'information et celui des entreprises qui en ont été le fer de lance au XXe siècle. Comme si, en fait, les journalistes avaient décidé que, dans la grande réorganisation du monde de l'information qui se brasse en ce moment, ils ne seraient que de simples exécutants plutôt que des porteurs de nouveaux projets. Difficile de comprendre ce manque d'initiative et de leadership. La fibre entreprenariale est-elle incompatible avec la flamme journalistique? Bien sûr que non—les exemples contraires sont légions. Il y a évidemment l'immensité des bouleversements actuels et le flou quant aux solutions possibles. Mais cela n'explique pas totalement pourquoi les journalistes québécois sont aussi peu actifs—pourquoi, pour des gens qui disent avoir autant à coeur l'information de qualité, il semblent aussi peu intéressé à se retrousser les manches. Au-delà de toutes les incertitudes qui planent sur nos têtes, au-delà des crises conjoncturelles et des révolutions structurelles, une chose me semble certaine: il est temps pour les journalistes québécois de se lancer activement dans de nouvelles initiatives. De cesser d'attendre un sauveur qui viendrait des conglomérats médiatiques, des gouvernements ou d'un modèle développé ailleurs. Il est temps pour nous, autrement dit, de s'organiser avant de se faire organiser. Que faire, exactement? Le problème de la période actuelle est qu'aucune solution ne s'est encore dégagée, quant à nos questionnements. Mais c'est aussi ce qui fait la beauté et l'effervescence de notre époque: tout est à faire, à inventer. Et tout permet de croire que plein de modèles seront possibles et cohabiteront dans le nouvel écosystème informationnel des décennies à venir. De toute façon, bien avant de rédiger un éventuel plan d'affaires, il y a trois choses que les journalistes peuvent décider de faire, dès aujourd'hui: 1) Prendre conscience du fait que l'avenir de l'information est entre nos mains. Et non pas entre celles des entreprises de presse, ni celles des gouvernements (Dieu nous en préserve). 2) S'informer (et rester informé). À intervalles réguliers, je suis estomaqué par l'absence de curiosité de trop nombreux journalistes face aux changements profonds qui secouent notre métier. La majorité, pour ne donner qu'un exemple, n'ont jamais été voir ce que c'était, Twitter, au juste. C'est la stratégie de l'autruche, et ça n'augure rien de bon. 3) Se regrouper. C'est une évidence, mais il y a certainement des bénéfices à tirer dans le fait de se mettre à deux, à quatre, à 16. Combinons nos idées et nos forces respectives, et voyons ce qui en ressort. De nouvelles initiatives prometteuses naîtront-elles? Peut-être, peut-être pas. Mais l'essentiel est que nous ne serons pas restés les bras croisés pendant que le journalisme était en train de se restructurer. Et si nous pouvons tirer un peu de plaisir de ces discussions et expériences, ce sera déjà ça de gagné sur les déprimantes conversations de la première décennie du XXIe siècle…
Récemment, je demandais à un étudiant finissant en journalisme à l'Université Laval si le journalisme et Internet était abordé dans sa formation. Sa réponse a été assez déprimante. Imaginez un garagiste qui ne connaitrait que la mécanique des années 1960...
Rédigé par : Mimonette | 28 janvier 2010 à 13:28
Je me demande si une partie de ton malaise ne vient pas du fait que toi non plus, tu ne sais pas quelles devraient être les pistes à prioriser pour améliorer le journalisme du futur. Personne ne le sait, sans quoi nous serions tous ralliés derrière une barrière commune. Se retrousser les manches veut dire s'approprier les nouveaux outils mais aussi se battre pour une information moins superficielle, des pigistes mieux payés, un statut pour les journalistes, et plus encore... Des gens, comme toi, se retroussent d'ores et déjà les manches, chacun à leur façon dans leur média ou leur milieu, mais ils sont généralement dispersés, atomisés... La difficulté est de rassembler ces gens qui sont déjà les plus actifs, afin de les convaincre de parler d'une voix plus forte, en vue d'un objectif qui soit précis, concret, tangible.
Rédigé par : Pascal Lapointe | 30 janvier 2010 à 10:05
@Mimonette: je ne sais pas si c'est nécessairement la responsabilité des écoles d'enseigner les derniers développements technologiques... Ceux-ci se produisent si rapidement que les cours ne pourront jamais être totalement à la fine pointe de ces changements. Cela dit, la formation des journalistes au Québec mérite sans aucun doute une modernisation et, de façon générale, une amélioration. En ce sens, j'ai été content d'apprendre, en rencontrant Dominique Payette cette semaine, que son Groupe de travail se penchera sur cette question.
@Pascal: ce que j'essayais entre autres de dire, c'est que nous semblons avoir deux réactions possibles à ce qui se passe en ce moment: baisser les bras, ou au contraire chercher à faire quelque chose au niveau collectif (par exemple en demandant au gouvernement de financer la production d'information). Ce qui manque, à mon sens, c'est une attitude qui se situerait entre ces 2 pôles: un esprit entrepreneurial, le désir de tenter des expériences à petite échelle, l'envie de se lancer dans notre propre aventure journalistique. Si on attend que tout le monde embarque avant de faire des choses, il sera peut-être trop tard...
Rédigé par : Nicolas Langelier | 30 janvier 2010 à 13:45
une attitude qui se situerait entre ces 2 pôles: un esprit entrepreneurial, le désir de tenter des expériences à petite échelle, l'envie de se lancer dans notre propre aventure journalistique.
Mais de telles expériences à petite échelle, il en existe déjà. P45, Québec89... Et bien des médias moins connus, dont le mien, mènent les leurs aussi, généralement sous les écrans radars des médias. Je soupçonne toutefois que ce n'est pas tout à fait de ça dont tu rêves.
Rédigé par : Pascal Lapointe | 31 janvier 2010 à 00:52