5e chronique de ma série Siècle no 21, parue dans le magazine Le Trente, novembre 2009.
Sur le blogue du Harvard Business Review, un spécialiste en gestion de carrière écrivait récemment que «dans cette économie du savoir, il va de soi que, tôt ou tard et qu’on le veuille ou non, la plupart d'entre nous aurons éventuellement une carte d'affaires personnelle». Il voulait dire par là que ces forces sociales, économiques et technologiques nous inciteront à devenir notre propre «marque». À se transformer en entrepreneurs, autrement dit.
Bien sûr, en journalisme, il y a déjà un bon moment que ce phénomène s'est amorcé. D'abord avec l'importance grandissante des journalistes indépendants, depuis une vingtaine années; puis, plus récemment, avec la mise de l'avant croissante, par les grands médias, de leurs journalistes. De plus en plus, le public porte attention aux signatures et fait ses choix médias en conséquence.
Mais la montée du journaliste-entrepreneur va au-delà des gros noms et des commentateurs professionnels promus par le média auquel ils sont rattachés. Cette tendance englobe des journalistes de tous les domaines et de tous les niveaux d'expérience et de statut. Et, surtout, on parle ici de journalistes agissant comme de véritables agents libres pouvant offrir leurs services à gauche et à droite au gré des circonstances, mais aussi diffuser directement leur production au public, sans intermédiaire.
Ce phénomène ne va que s'accentuer, au cours des années à venir. D'une part parce que les grandes institutions médiatiques sont en déclin, et que ce déclin sera irréversible. Et d'autre part à cause des immenses avancées technologiques des dernières années, qui permettent aujourd'hui à tout le monde de se lancer dans la diffusion d'information.
Le principal obstacle cet entrepreneuriat grandissant, cependant, demeure le même que celui de l'ensemble du monde de l'information, par les temps révolutionnaires qui courrent: l'argent. Un journaliste a beau avoir le talent, les connaissances et les outils de diffusion, comment peut-il gagner sa vie hors du giron des grandes institutions médiatiques? Réponse facile: «La pub». Mais il est illusoire de penser que le marché publicitaire puisse subvenir aux besoins de tout le monde; même les grands médias, avec leurs importantes équipes de représentants, leur prestige et leur trafic, n'y arrivent pas. Alors un journaliste solo, sans infrastructure de vente ni talent de programmeur...
Mais voilà que de plus en plus de solutions s'offrent aux journalistes qui veulent voler de leurs propres ailes (ou du moins se libérer un peu de leur dépendance envers les médias établis). Un gros portail québécois, par exemple, a commencé à proposer à certains journalistes de prendre en charge les ventes publicitaires sur leur site personnel. Le portail garderait un pourcentage de ces revenus, alors que le journaliste, lui, bénéficierait des forts volumes de trafic provenant du portail. Gagnant-gagnant? Possiblement. Encore là, cependant, on est dans le modèle de l'affichage publicitaire traditionnel; mais cela pourrait tout de même offrir une base financière intéressante pour certains.
Dans un autre genre mais toujours dans cette idée du journaliste-entrepreneur, le projet True/Slant (trueslant.com) contient aussi des éléments prometteurs. Lancé au printemps dernier par Lewis Dvorkin, vétéran du New York Times, Newsweek et TMZ, entre autres, ce site compte actuellement près de 200 collaborateurs indépendants (journalistes, mais aussi experts en tous genres, auteurs, universitaires, etc.) gérés par une équipe d'à peine 10 personnes.
Deux particularités distinguent True/Slant du modèle médiatique traditionnel: d'une part, les collaborateurs sont libres d'écrire ce qu'ils veulent sur ce qu'ils veulent—il n'y aucune assignation, et pas de travail d'édition. Et d'autre part, ils choisissent le mode de rémunération qui leur convient le mieux: tarif fixe, pourcentage des revenus publicitaires, actions dans l'entreprise, même, pour certains. Chaque collaborateur est donc perçu comme une «marque» et peut agir à sa guise, sans aucun engagement ni contrat d'exclusivité. (Le site a aussi un rapport pour le moins novateur à la publicité qui a déjà provoqué quelques débats; les collaborateurs, par exemple, ont aussi le loisir d'approcher eux-mêmes des commanditaires pour leurs textes, ce qui soulève évidemment des questions déontologiques.)
Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres. Dans l'univers médiatique qui se dessine, les nouveaux modèles sont aussi nombreux que diversifiés. Mais une chose semble déjà acquise: de plus en plus de journalistes auront leur propre carte d'affaires, et celle-ci n'affichera pas le logo d'une entreprise de presse…
"Chaque collaborateur est donc perçu comme une «marque» et peut agir à sa guise, sans aucun engagement ni contrat d'exclusivité" Voila qui participe au mouvement actuel de personal branding.
Rédigé par : Objets Publicitaires | 05 novembre 2009 à 11:13
Quel est le nom de ce portail quebecois?
Rédigé par : Dicedi | 05 novembre 2009 à 14:15
Personal branding: un néologisme de plus pour cacher une réalité bien plus prosaïque: l'esclavagisme volontaire.
Rédigé par : capito | 05 novembre 2009 à 14:38
Esclavagisme ou liberté suprême ?
Je trouve personnellement que ce format d'indépendance est le plus gratifiant (quand il fonctionne) mais reste réservé à une "élite" professionnelle et ne sera jamais la norme, heureusement pour les autres.
Ce même principe fonctionne dans des domaines comme le spectacle ou le Web mais seulement pour ceux qui ont une notoriété suffisante.
Rédigé par : ThomasF | 05 novembre 2009 à 16:05
@Dicedi Je ne peux le dire, pour le moment.
@capito Est-ce que ce n'est pas la définition de tout travail, au fond? ;)
Rédigé par : Nicolas Langelier | 05 novembre 2009 à 20:38
Salut Nicolas, bon papier.
Beaucoup de publications collectives offraient déjà à leurs auteurs un partage des revenus publicitaires. Je comprend que l'innovation chez True/Slant, c'est d'offrir à l'auteur le choix du type de revenu qu'il veut, c'est bien ça? Se pourrait-il que True/Slant ait choisi cette voie parce qu'autrement, il avait peu de chances de compétitionner avec le Huffington Post et d'autres dans le recrutement d'auteurs prestigieux?
Rédigé par : Pascal Lapointe | 06 novembre 2009 à 23:07