3e chronique de ma série Siècle no 21, parue dans le magazine Le Trente, septembre 2009.
Lorsque le mot automobile a été inventé, au 19e siècle, c'était en tant qu'adjectif. C'est qu’il fallait un qualificatif pour ces voitures nouveau genre qui, contrairement aux «vraies» voitures (diligences, calèches, etc.), étaient mues par un moteur plutôt que par un cheval.
Pendant plusieurs années, c'est donc sous l’appellation de voiture automobile que l’on désignait les Daimler, Peugeot et autres De Dion-Bouton. Mais à mesure que la mécanique supplantait la bête, automobile a cessé de n’être qu'un adjectif et est devenu un substantif à part entière. L’auto était dorénavant incontournable.
C'est Henry Jenkins, professeur d’études médiatiques au MIT, qui racontait en juin dernier l’équivalent anglais de cette évolution (horseless carriage devenu carriage devenu car). Selon lui, c'est le terme journalisme citoyen qui sera bientôt aussi obsolète que horseless carriage ou voiture automobile. S'il a été utile durant une certaine période de transition, parce qu’il décrivait une réalité nouvelle (une info produite par des amateurs), il sera bientôt tellement normal que les amateurs participent à la production journalistique que nous ne jugerons même plus nécessaire d’y faire allusion. Pour Jenkins, tout cela ne sera que du journalisme, point.
Voilà de quoi faire tiquer bien du monde. Après tout, ce qu’on craint beaucoup en ce moment dans le milieu de l'information, c'est l’érosion de certains standards, d’une certaine éthique venant avec la formation et les organismes règlementaires adéquats. Un univers où il n’y aurait plus de démarcation entre le pro et le citoyen n’a certainement rien pour rassurer ceux qui (comme la direction de la FPJQ) veulent plus de différenciation, pas moins.
Mais la question qu’il faut se poser, à mon avis, n’est pas comment on peut maintenir une appellation contrôlée «Journalisme professionnel» dans le Web 2.0—mais plutôt comment intégrer, à l’intérieur même de nos productions professionnelles, le travail et les idées de tous ceux qui voudront y participer.
Jouons à être optimistes, quelques instants. Considérons que nous vivons à l’aube de la plus excitante période de l’aventure journalistique, que notre accès à l’information n’a jamais été aussi grand et que notre capacité à entrer en contact avec les gens est inégalée. Comment, dans ces conditions et avec cette attitude, penser la salle de nouvelles de demain, celle qui sera aussi riche et dynamique que le permettent les nouvelles technologies?
Il ne fait aucun doute que la communauté devra y être au coeur des décisions et des actions. Et cela, au 21e siècle, veut dire d'offrir aux citoyens tous les moyens possibles de participer à l’ensemble de la chaine de production journalistique: de la sélection des sujets aux corrections post-publication, en passant par la cueillette d’information et le traitement de la nouvelle.
Cela peut prendre, et prendra, différentes formes. Déjà, les expériences en ce sens sont nombreuses (et très souvent concluantes). L’exemple du Huffington Post est bien connu; son volet OffTheBus a ainsi permis une couverture citoyenne des dernières élections américaines. Le Washington Times, lui, fait appel à des journalistes citoyens pour ses nouvelles locales; des employés du quotidien ont après comme tâche de veiller à ce que ce travail respecte les normes journalistiques. Le New York Times, conscient de leur potentiel, a commencé à parrainer des sites d'information communautaires. Spot.Us est un modèle intéressant de journalisme financé par la communauté. Outside.in cherche à agréger les nouvelles hyperlocales produites sur les médias sociaux et à les vendre aux entreprises de presse. On pourrait continuer comme ça très longtemps à énumérer les expériences où professionnels et amateurs travaillent ensemble.
Est-ce que cela signifie nécessairement que la distinction entre le journalisme professionnel et citoyen est sur le point de tomber? Peut-être pas. Mais il ne fait aucun doute que la collaboration entre les professionnels de l'information et les «gens ordinaires» tendra à s'accentuer. Si les soulèvements iraniens de juin dernier ont démontré quelque chose, après tout, c'est qu'il y avait là, dans le chevauchement entre le journaliste, le citoyen et la technologie, un formidable potentiel démocratique. Et tout cela à un coût dérisoire, ce qui ne gâte rien dans le nouvel environnement commercial...
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9 896
Il y a souvent quelque chose de presque mystique, dans le fait d'être tombé sur un livre précis à un moment précis de notre vie.
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