Il y a quelque chose dans le chiffre rond qui nous touche, nous incite à la réflexion ou à la nostalgie, à la célébration ou à l’angoisse. Comme s’il nous forçait à prendre un peu de recul face à notre vie trépidante, et nous poser de profondes questions du genre:
• « Suis-je vraiment dans la situation glorieuse à laquelle je rêvais lorsque, plus jeune, je m’imaginais à l’âge de 30 ans? Que me manque-t-il? Un amour véritable? Un emploi stimulant? Quelques paires de souliers et deux ou trois espoirs supplémentaires? »
• « Que cela signifie-t-il, que la bourse ait franchi la barre des 12 000 points, ou que le pétrole ait atteint le prix de 100$ le baril, ou que l’or se négocie maintenant à 1000$ l’once? Y a-t-il lieu de se réjouir, ou devrions-nous plutôt faire des réserves de boites de conserve? »
• « Notre club social a 25 ans/notre pays a 250 ans/notre civilisation a mille ans: que souhaitons-nous, pour le prochain quart de siècle ou millénaire? Un peu plus d’épluchettes de blé d'Inde et un peu moins de génocides? Et surtout : célébrerons-nous cela avec beaucoup d’alcool ou un feu d’artifice ou les deux? »
Cela dit, notre engouement pour les chiffres ronds semble s’intensifier, depuis quelques années, en raison surtout des médias, qui ont pour eux le même genre d’affection que certaines personnes ont pour la cocaïne. Aux traditionnels 10-25-50-100-etc. s’ajoutent dorénavant des nombres qui jusqu’à maintenant n’étaient pas vraiment considérés comme ronds. Le 5, par exemple, ou le 15, ou le 35. Au rythme où vont les choses, on devrait bientôt nous forcer à réfléchir à la signification profonde des 18 mois au pouvoir d’un gouvernement, ou à célébrer le 3e anniversaire de la fois où il a plu vraiment fort.
À surveiller: le 11. Lorsque ce chiffre insignifiant sera jugé digne d’être souligné, c’est que nous serons définitivement allés trop loin, et ce ne sera pas bon signe. Profitez-en alors pour empiler les boites de conserve et discrètement, très discrètement vous réfugier au fond des bois.
Nicolas Langelier
Paru dans La Presse, vendredi 14 mars 2008
tu devrais toujours terminer tes textes avec "vous réfugier au fond des bois."
Rédigé par : xkr | 18 mars 2008 à 00:58
Les chiffres ronds, ça frappe l'imaginaire! Et pour que la journée d'aujourd'hui soit davantage mémorable que celle qui vient de passer, ces chiffres ressassés un peu partout ne cessent de nous obnubiler...
Rédigé par : atomicjonas | 19 mars 2008 à 00:26