Jadis, la photographie était une affaire plutôt compliquée. Il fallait un appareil, d’abord, et un film à la sensibilité appropriée. On devait ensuite ajuster toutes sortes de choses – exposition, focale, blabla – avant d’appuyer sur le déclencheur, refaire la même chose une vingtaine de fois pour terminer le film, et finalement marcher jusqu’à la pharmacie, faire des choix ennuyants (avec ou sans bordure, mat ou glacé, etc.), revenir chez soi, attendre patiemment pendant des jours, retourner à la pharmacie et payer un montant appréciable, pour à la fin réaliser que la moitié des photos étaient ratées. Mais ce n’était pas bien grave, parce que de toute façon on les rangeait au fond d’un garde-robe et personne ne les voyait jamais plus avant notre décès, auquel cas nos héritiers passaient quelques minutes à les regarder avec émotion, avant de jeter la plupart à la poubelle et de mettre le reste au fond de leur propre garde-robe, où elles resteraient oubliées jusqu’à ce qu’ils meurent à leur tour, et que leurs héritiers… Bref, une infinie boucle d’inutilité imagière.
Mais la technologie numérique est apparue, et tout a changé. Plus besoin de film. Plus besoin de développement. Même plus besoin d’appareil. Et nous prenons donc énormément de photos, ce qui fait encore plus de dents exposées. Jumelé à l’autre grande révolution, l’apparition de toutes ces plateformes pour partager nos photos avec le reste de la planète, on ne peut plus aller nulle part sur Internet sans tomber sur beaucoup trop de gens beaucoup trop souriants.
Et à la longue, ça finit un peu par taper sur les nerfs. Difficile de dire pourquoi, exactement. Peut-être parce qu’on sait qu’un sourire photographique est presque toujours forcé. Ou qu’on est conscient qu’il n’y a rien de si drôle, dans la vie, et qu’il y même énormément de raisons de ne pas sourire, et que toute cette jovialité a donc quelque chose de déplacé. Peut-être aussi que nous sommes juste des rabat-joie. Quoi qu'il en soit, on finit par se dire qu’un peu de morosité ne nous ferait pas de tort.
Nicolas Langelier
Paru dans La Presse, vendredi 2 novembre 2007
Je suis parfaitement d'accord avec la chose vraie de la semaine. C'est d'ailleurs pourquoi j'encourage tous ceux et celles qui ont un brin de cynisme à ne jamais cacher leur véritable émotion du jour sur toute photo documentant un événement banal qui, de toute évidence, finira sur un site de réseautage social. Voici quelques suggestions: ayez l'aire circonspect, distrait, nébuleux, arrogant, las, désœuvré, ennuyé, ou encore, mon mode de prédilection, montrez votre plus beau sourire forcé qui montrera bien toute vos dents. Peut être un jour les gens qui documentent/commentent votre vie sur facebook s'écœureront...
Rédigé par : Gabriel | 02 novembre 2007 à 12:31
Vive les photos "air de beu" des passeports !
Rédigé par : CarolineG | 11 novembre 2007 à 12:03