J'ai contribué un petit billet sur ma relation au four à micro-ondes, dans le cadre de l'émission Histoires d'objets, à la Première chaîne de Radio-Canada.
Ça s'écoute ici, à 16 min 27.
Ci-bas le texte complet.
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Je me souviens très bien du moment où le four à micro-ondes est arrivé dans ma vie. C'était au début des années 80 et nos voisins, les Bouffard-Bouchard, avaient été les premiers de mon entourage à se procurer ce qui allait sûrement devenir, nul n'en doutait alors, le Four du Futur.
On croyait encore beaucoup au futur, au début des années 80. La société des loisirs était encore une éventualité. Un monde d'où les grandes maladies seraient éradiquées était encore une éventualité. La colonisation spatiale était encore une éventualité. Pas longtemps avant, j'avais d'ailleurs accompagné quelques membres de ladite famille Bouffard-Bouchard dans un parc de Saint-Léonard d'où on avait observé un vol d'essai de la toute nouvelle Navette spatiale, arrimée sur le dos d'un 747 de la NASA. Au début des années 80, il était encore permis de croire que, de mon vivant, je connaîtrais à la fois la paix sur terre et le golf sur la Lune.
Et le four à micro-ondes était l'un des signes annonciateurs de cet avenir prometteur et très moderne qui nous attendait, à l'an 2000. Finie, cette époque archaïque où il fallait patienter une heure et quart pour que le poulet soit cuit; en 27 minutes, il était maintenant possible de dégeler et cuire un poulet de bord en bord. Bon, il en ressortait un peu pâle et pas spécialement appétissant, mais on apprendrait les secrets du micro-ondes, on en était convaincus. Plusieurs des grands chefs de l'époque s'étaient d'ailleurs convertis au Futur et à la production de livres consacrés aux finesses de la cuisson électronique, incluant la vénérable Jehanne Benoit. C'était l'avenir, aucun doute possible, et l'avenir serait formidable.
Avance rapide, trente ans plus tard. J'ai maintenant l'âge que les parents Bouffard-Bouchard avaient à l'époque, la Navette spatiale vient d'effectuer son dernier vol et l'avenir n'est plus ce qu'il était.
Je possède un four à micro-ondes, mais je ne m'en sers jamais: trop de doutes, dans mon esprit, à propos de l'innocuité de cette forme de cuisson. Les nutriments sont-ils vraiment préservés? Les changements chimiques que les ondes provoquent dans les aliments sont-ils cancérigènes? Les ondes électromagnétiques produites durant la cuisson sont-elles réellement sans danger pour nos organes et notre cerveau? Une des grandes leçons des 50 dernières années de «progrès» technologiques, c'est que dans le doute, vaut mieux s'abstenir. Thalidomide, DDT, sauvetage de Quebecor Média par la Caisse de Dépôt: un minimum de prudence nous aurait épargné bien des désastres.
Mon four à micro-ondes reste donc là, dans son petit compartiment VIP au milieu de mes armoires de cuisine. Jamais utilisé, et d'ailleurs en permanence débranché, depuis ce jour où, muni d'un appareil de mesure des ondes électromagnétiques, j'avais réalisé que, juste branché, le four dégageait des quantités plutôt inquiétantes d'ondes potentiellement cancérigènes.
Un jour, c'est prévisible, mon four à micro-ondes prendra le chemin du centre de récupération, et se termineront alors mes trois décennies d'expérimentation avec la cuisson par agitation des molécules d'eau des aliments.
Le micro-ondes s'ajoutera alors à la liste grandissante des bienfaits passés du futur en lesquels j'ai cessé de croire, pour une raison ou une autre. Une liste qui inclut déjà entre autres l'automobile à essence, la crème solaire, l'exploration pétrolière au Québec, les substituts de repas liquides, les plats congelés industriels, les édulcorants artificiels, la pasteurisation, la pharmaceutique, les modems sans fil, les interventions militaires d'imposition de la démocratie. Le champ du futur rétréci de mois en mois.
Bien sûr, le futur reste bien là, droit devant nous, autant qu'en 1848, autant qu'en 1967. Mais c'est un avenir qui sera sans doute bien différent de celui que nous promettait encore la modernité, celui qu'on espérait encore, au début des années 80. Notre méfiance collective grandissante pour les développements technologiques, et notre remise en question de la notion de progrès tel que défini depuis 150 ans, nous poussent aujourd'hui à chercher à inventer un autre type d'avenir, peut-être un peu plus près du passé que ce que les Modernes auraient souhaité.
Et je pense sincèrement que tout ça est pour le mieux. Que ce Nouveau Futur sera plus humain, plus authentique, plus près de nos véritables besoins et aspirations. Je croise les doigts, en tout cas. Parce que s'il y a une chose que les trente dernières années nous ont apprise, c'est que si notre vie ne nous permet plus d'attendre une heure et quart pour que le poulet soit cuit, c'est qu'on a sans doute besoin de quelque chose de plus fondamental qu'un four à micro-ondes…
Les commentaires récents
9 896
Il y a souvent quelque chose de presque mystique, dans le fait d'être tombé sur un livre précis à un moment précis de notre vie.
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Il y a souvent quelque chose de presque mystique, dans le fait d'être tombé sur un livre précis à un moment précis de notre vie.